Chargement

Chers amis lecteurs, avec un sens de la rime digne de Pouchkine (lisez ce magnifique titre à voix haute), je débute ici un journal de confinement.

 

Jour 1 – mardi 17 mars 2020

Hier, Manu Macron avait sorti les peintures de guerre, s’était coiffé de ses plus belles plumes et avait déterré la hache de guerre. Et il est donc parti en guerre contre le coronavirus et nous a demandé de nous enfermer dès aujourd’hui midi. Nous avons donc décidé de partir dès ce matin se mettre au vert à Luc-sur-mer.

Allocution présidentielleAllocution présidentielle

Après une nuit pleine d’angoisses métaphysiques (quels livres emporté-je ? de quelle étagère ? qui suis-je ?), le début de matinée à été consacré à faire les valises et autres préparatifs. Départ à 9h34, le GPS annonce une arrivée à 12h00. Ouf… nous ne violerons pas le confinement.

Exode : pour eux, Il avait ouvert la mer rouge, pour nous, il a ouvert l'A13 !Exode : pour eux, Il avait ouvert la mer rouge, pour nous, Il a ouvert l’A13 !

Après une pause (biberon) sur la route (« My whole wretched life swam before my weary eyes, and I realized no matter what you do it’s bound to be a waste of time in the end so you might as well go mad. »), nous arrivons à 12h26 et avons donc circulé 26 minutes sans le certificat requis. Le frisson de l’interdit ou la désinvolture française ?

Notre arrivée est marquée par un grand ciel bleu et un soleil qui réchauffe doucement le bas du dos. Odile nous attendait déjà depuis 2 heures (deuxième acte de dissidence : un regroupement familial ! Peut-être Journal d’un rébellion aurait-il été un titre plus adéquat ?).

Le grand ciel bleu (et le trait de mer à l'horizon)Le grand ciel bleu et, pour ceux qui aiment jouer à « Où est Charlie ? », la grande bleue !

Déchargement de la valise, déjeuner express et je m’enferme travailler jusqu’à 18h30. Eh oui ! Le soleil brille, les oiseaux chantent, la mer ronronne au loin  mais je ne suis pas en congés ! Les enfants pendant ce temps font la sieste, goûtent puis arrachent les mauvaises herbes dans le jardin.

Les jardiniers en herbeChi va piano, va sano e giardina lontano

Anne-Charlotte se transforme également en maîtresse d’école  et les accompagne dans les exercices donnés par les vraies maîtresses : une séquence  de chiffres et de lettres mais sans Laurent Romejko.

La soirée s’envole ensuite dans les vapeurs de l’alcool avec un apéro pour trinquer à notre premier jour de confinement.

 

Jour 2 – mercredi 18 mars 2020

Comme disait MC Solaar dans les années 2000 : Ce matin, tout va bien / Cause today / Today is a good day

Le beau temps et le grand soleil nous donnent pour l’instant l’illusion d’être en vacances. Jeux dans le jardin, café au soleil, etc., etc… tout le monde en profite !

dc6d6c02-6b2d-44cb-91ef-c4c25f957661

(Raphaëlle en terrasse pour un café mais toujours en respectant les mesures de distanciation sociale)

Pour la part, entre deux réunions, j’ai déballé les livres emportés dans notre fuite. Et je continue le grand déballage dans les lignes qui suivent (ah ! là ! là ! quelle impudeur avec l’internet 2.0 !)

IMG_1674(Des livres et l’ORTF pour entendre l’appel du Général)

  • Histoire de l’Italie, Pierre Milza

Questo libro è solo per rompere le palle a chi piace ascoltarmi parlare dell’Italia. Je vous laisse traduire vous-même.

  • Cent ans de solitude, Gabriel Garcia Marquez

Choisi rien que pour le titre. M. Macron a dit que « Un livre, c’est la vraie solitude » – attention, c’était pas dans son discours de lundi même s’il a parlé de lire. Et aussi parce que la rumeur dit que le bouquin est pas mal. Pour l’instant, je ne le lis que demi-page par demi-page comme le légionnaire Joligibus.

IMG_1672(Joligibus et ses demi-dalles)

  • La solitude Caravage, Yannick Haenel

Une sélection de livres très orientée vers la solitude. Un livre qui me permettra peut-être d’y voir clair dans l’obscurité.

  • Les récits de la Kolyma, Varlam Chalamov

Dans ce livre, Varlam Chalamov donne quelques conseils pratiques de survie en milieu hostile. Par exemple, comment déterminer la température extérieure sans thermomètre ?

« On ne montrait pas le thermomètre aux travailleurs ; c’était d’ailleurs parfaitement inutile : il fallait sortir quelle que fût la température. En outre, les anciens se passaient de thermomètre : s’il y a du brouillard, il fait quarante degrés au-dessous de zéro ; si on respire sans trop de peine, mais que l’air s’exhale avec bruit, cela veut dire qu’il fait moins quarante-cinq ; si la respiration est bruyante et s’accompagne d’un essoufflement visible, il fait moins cinquante. Au-dessous de moins cinquante, un crachat gèle au vol. Cela faisait déjà deux semaines que les crachats gelaient au vol. »

En homme pragmatique, j’ai ce matin éprouvé cette théorie. Au lever, j’ai ouvert la fenêtre et craché mon plus beau glaviot. À l’impact, il avait conservé toute sa forme liquide ou plutôt visqueuse. Donc température supérieure à -50 °C.  Et le thermomètre indiquait +6 °C : le test est donc concluant !

  • Le royaume, Emmanuel Carrère

Après la Genèse illustrée par Robert Crumb, je pars sur les traces des apôtres avec Emmanuel Carrère. Une illumination mystique à venir ?

  • Les hommes d’août, Sergueï Lebedev

J’ai toujours été un homme de doute (Dubito ergo sum, comme disent les joueurs de cartes). L’identification aux personnages d’un livre est toujours importante dans l’appréciation d’un livre.

  • The Stalin Epigram, Robert Littell

En 1934, Ossip Mandelstam, poète russe, écrivit ceci à propos de Staline :

« Nous vivons sourds à la terre sous nos pieds / A dix pas personne ne discerne nos paroles. / On entend seulement le montagnard du Kremlin, / Le bourreau et l’assassin de moujiks. / Ses doigts sont gras comme des vers, / Des mots de plomb tombent de ses lèvres. / Sa moustache de cafard nargue, / Et la peau de ses bottes luit. / Autour, une cohue de chefs aux cous de poulet, / Les sous-hommes zélés dont il joue. /  Ils hennissent, miaulent, gémissent, / Lui seul tempête et désigne. / Comme des fers à cheval, il forge ses décrets. / Qu’il jette à la tête, à l’oeil, à l’aine. / Chaque mise à mort est une fête, / Et vaste est l’appétit de l’Ossète. »

Deux ans après, il mourrait en camp de concentration. Une belle leçon de vie que l’auteur nous donne à lire.

  • Kafka sur le rivage, Haruki Murakami

Et celui-là, c’est parce que la situation est kafkaïenne et qu’on n’est pas loin de la mer.  Je n’ai encore une idée de ce que le livre raconte. Alors je brode à partir du titre.

Et comme la culture, c’est comme la confiture, je lèche la cuillère, revisse le couvercle et vous dis à demain.

 

Jour 3 – jeudi 19 mars 2020

Troisième jour de confinement. Une pensée pour tous ceux pour qui le confinement ressemble à cela :

IMG_1661Diego, libre dans sa tête / Derrière sa fenêtre / S’endort peut-être…

Ce matin, j’ai participé à une belle conférence téléphonique avec mes collègues européens (j’avais un call comme on dit dans le business). Une réunion de 3h30… dur ! L’occasion de constater quels sont les pays européens qui s’ennuient le plus en cette période de confinement et qui ont le plus besoin de parler. Et le vainqueur est l’Autriche qui a monopolisé la parole : Natascha Kampusch avait des choses à nous dire sur la claustration !

Quant aux enfants, ils profitaient encore du doux soleil printanier sur leur transat.

IMG_1681On se donne en télétravail !!!

Et leur Mamy leur avait installé un parcours à traverser avec lequel ils se sont bien amusés. Jusqu’à ce qu’un voile nuageux vienne refroidir l’atmosphère. Alors ils ont mis les manteaux chauds pour faire un dernier cache-cache.

IMG_1683Plus facile de les trouver quand ils se cachent derrière le même arbre !

Ensuite activités scolaires, confection d’un marbré avec Mamy, jeux de société et dessins animés les ont occupés jusqu’au dîner.

IMG_1675Gabriel estime que la quarantaine ne durera pas plus de cinq jours

Et nous les adultes, nous avons pris la sage décision de ne pas reconduire les apéros des soirs précédents. C’est la pause avant de reprendre dès demain soir : ne perdons pas la notion du temps et n’oublions pas que demain soir, c’est le début du week-end.

 

Jour 4 – vendredi 21 mars 2020

Réveil sous la pluie ! Le maire de Luc-sur-mer a pris un arrêté pour interdire l’accès des habitants à la mer. En revanche, il n’a rien prévu pour interdire l’accès des embruns aux habitants.

IMG_1679Retour de la météo normande

Ce matin, je me décide à rompre le confinement pour aller remplir frigo et placards à l’Hyper U de Douvres-la-Délivrande.  Je prends donc mon plus beau stylo, forme mes plus belles lettres et rédige mon certificat (je ne mentionne pas que je voudrais avant tout acheter le journal).

Départ avec Raphaëlle. A l’entrée, on veut refouler Raphaëlle : « Je crois que ça va pas être possible / Pas être possible, pas être possible ». Je réponds d’un couplet : « on a trois enfants / ils sont tout petits / c’est trop éprouvant / je vous en remercie » (je vous laisse trouver un air qui colle parfaitement à ces paroles).

A l’intérieur, règnent ambiance feutrée, respect des consignes et courses au ralenti. Mais au milieu de tout ça, on trouve Le Vieux. Le Vieux est fourbe, Le Vieux est sournois. Il use et abuse de son statut de personne fragile. Il est pressé, il bouscule et il maugrée. Mais, surtout, Le Vieux prend un malin plaisir à utiliser la distance minimale d’un mètre pour s’amuser à pousser les gens hors des rayons. Voici Le Vieux qui s’approche de toi avec désinvolture. Tu fais un pas à droite, Le Vieux fait un pas à droite. Tu fais un pas en arrière, Le Vieux fait un pas en arrière. Et, au rythme de ce pas de danse, Le Vieux t’emmène où il veut. T’étais tranquillement en train de choisir les biscuits pour les enfants, Le Vieux t’as repoussé devant un rayon de conserves de salsifis à la béchamel.

Au bout de deux heures, on trouve le chemin de la sortie. On n’hésite à applaudir les caissières, moins pour leur courage de venir travailler que pour leur patience à supporter les cons qui se croient toujours les plus importants et les plus malins.

Retour à la maison. Gabriel et Raphaëlle ouvrent leurs Lego et Playmobil qui se sont très fortuitement retrouvés dans le caddie de course en plus des coloriages, tubes de peinture et ardoise Veleda. Gabriel monte seul son Lego Star Wars (fierté du Papa et en même temps désarroi de ne pouvoir participer).

L’après-midi, je me rappelle qu’on n’est pas encore samedi et que je suis en télétravail. La demi-journée passe comme un après-midi de confiné, bien occupé mais sans grand relief. Les petits eux se passent leur après-midi à inventer toutes sortes d’histoire avec leurs nouveaux jouets.

IMG_1698Raphaëlle joue à « Il fait beau, les Français sont désinvoltes »

 

Jour 31 – mercredi 15 avril 2020

Il y a un mois, je me voyais déjà devenir l’égal d’un André Gide, d’un Kafka, d’une Simone de Beauvoir qui tous ont tenu un journal. Au début, c’était facile, on trouvait toujours une connerie à raconter : l’exode vers la Normandie, la préparation des livres à emporter (je cite Anne-Charlotte : « C’était le branle-bas de combat, tout le monde s’agitait pour boucler les valises et François était stoïque, planté devant la bibliothèque en train de passer en revue les bouquins qu’il allait emporter.  »), les premières courses au supermarché, etc.

Et puis, est venu le temps de la panne d’inspiration. Et là, il aurait fallu s’asseoir devant une table avec un stylo et du papier et travailler. Au lieu de ça ? Travail, enfants, apéro, lecture, mêmes des séries… tout cela a pris le dessus, a submergé mes opinions. Pas comme un tsunami, non… plutôt comme les océans qui monterait progressivement à cause du réchauffement climatique : on n’y fait jamais trop attention et un matin on se retrouve les pieds dans l’eau. Voilà, c’était pareil ! Le premier jour, on se dit qu’on fera ça le lendemain, qu’on trouvera un peu de temps ; le deuxième jour, idem… le va-et-vient du quotidien relègue tout ça loin, très loin, à la périphérie.

Enfin, on se rend compte que tout cela n’était finalement qu’une vaine ambition. Le temps, la volonté, la compétence ne sont pas là. Il est donc temps de conclure cet éphémère journal pour revenir à la vocation initiale de ce blog : les photos des enfants !

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

En haut